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POUR JOYCE

3 avril 2013

Flocons furieux m’avaient mouillé et froidi, j’avais longtemps et longuement marché pour rejoindre ma douce complice. Mais sitôt arrivé à son huis, quand elle ouvrit et que je vis son minois illuminé, j’oubliai cette neige donc tant vécue que pour cette nymphe amie et m’essuyai-je, blanchi, dans les très vieux gais rets que pour voir en un tour périr tant de cristaux. Je dis gais car cette maille était multicolore et, malgré son usure, explosait de maintes et maintes teintes. Sur la manchette mauve de l’accotoir droit du fauteuil, un voltaire, je posai ma perruque, s’agissant de la sécher à la chaleur de l’âtre sis pas loin.Joyce's – Tu ne préfères pas une serviette ? dit-elle finissant de me déshabiller, affamée de me voir nu, saisissant mon bras.

La nuit venait de tomber, bloom ! sur la terre comme une eau noire d’un entonnoir et remplissait tout alentour, on n’y voyait goutte, et pour cause : c’était encore du grésil ou de la neige roulée qui fouettait la demeure. Ulysse tard me fut raconté, vers minuit, par ma belle amante ; j’étais fort fatigué et je bayais aux corneilles : homérage, l’ode des espoirs éveillait ces manies. Dans le voltaire, je prenais racine sans broncher puisque déjà j’étais mol hier, ayant transpercé la tempête glaciale en deux jours, trois heures et vingt-huit minutes pour venir écouter ma Dulcinée me narrer ce trip antique, ce détour marin d’un vagabond d’âge certain qui a quitté son Elle dont il était roy roide dingue pour y revenir bien bien bien bien bien bien bien bien bien des années plus tard, ayant échappé à des embûches dès Noël, mais qui l’ont fait vriller. Vingt ans. Fou ? Non, mais pas loin. Lorsque mon amie commença à préciser le long périple héroïque de cet homme rusé, je sortis peu à peu de ma torpeur. Danse d’ombres sur les murs à la seule clarté des flammes de la cheminée.

Dès le début, prenant place sur l’embarcation, il aurait dit à ses potes à bord d’elle : « On en amarre. C’est Palamède, mais ça sent pas bon quand même, car l’eau d’ici ne va pas nous faire Dublin, parole de stout. Blurrrpp ». Plus rien du tout n’atteste de cette prime lueur de lucidité ayant traversé l’esprit malin du bonhomme, puisque nous savons de Marcel que les enregistrements réalisés à l’époque ont été carbonisés dans un incendie craminel. Bref. La nuit avançait, et elle poursuivait son histoire, j’avalais ses mots comme sa cyprine, le fameux cycéon de la vulve qui me fait pourceau, dont le camarade James Augustine Aloysius Joe Cy m’a appris à stopper immédiatement les effets avec du moly ; vous pouvez vérifier à l’article consacré dans le compendium, cet effet casse. La jeune et jolie femme à Sienne à qui j’en achète est l’auteure d’une toise de doctorat destinée à éclairer les générations futures pour réaliser le portrait d’un artiste en génome.

Quand enfin elle acheva son récit, le jour s’élevait, nous étions parfaitement soûls – le rhum à Michel, exquis, de Gwada, dans le gosier coule comme une lave rare, et le whiskey tue la mort – ; je lui avouai que sur certains passages il me fallait davantage de détails excitants, relatifs par exemple à son oie sauvage d’épouse dont l’impensable beauté faisait rumeur en tout lieu, ou à propos (là, j’avais trop somnolé pour bien saisir) des fishus chants de six reines concupiscentes championnes de natation synchronisée. Oui. Oui, ça voulait dire oui, acceptation de mes dernières voluptés, oui, extrême onction du grand gland. Elle entreprit une langoureuse reptation jusqu’à moi assis dans le fauteuil, oui, regardant par la fenêtre le soleil venu poser son pied sur l’indécente de lit. Elle m’emboucha, j’écumais, tout ébranlé, pensant déjà à l’orée des fesses et à son duvet scintillant, au ventre l’antre de l’étrange. De ses doigts décidés elle dévala dessous car la paire y naît en toute labilité utile au jeu de la gravité. Elles sont belles à gober tes planètes mon amour disaient ses yeux quand elle les leva vers les miens, ces cils en ailes d’insecte sorties des élytres de paupières fardées bronze et poudre d’or, l’iris en astre magistral, le nez pulpitant, la salive perlant aux commissures, laplaplaplaplaplap. Ô délicate créature ! Et dire qu’au premier contact, un matin de bonheur en automne à Limoges où la lumière laiteuse dévalant des nuages donnait à la ville une apparence de port sélène, je l’avais d’abord considérée avec réserve, croyant que sa vulgarité était feinte ; mais non ! elle était pure et vraie, sa vulgarité, bien plus profonde que pouvait laisser croire son air péripathétique habillé du maquillage typique de la vile jobarde : rose à lèvre, masque à ras de l’œil, kaolin poudré sur les pommettes, astuce d’actrice, fard à fossettes.

Elle s’appelle Eve, prénom court, trois lettres de noble aise que sa mère imposa difficilement à son époux qui voulait l’appeler Анастасия parce qu’il était communiste et russophile, mais surtout complètement fou à lier, en dépression permanente et irréversible depuis le printemps 53, lorsque que cassa sa pipe le camarade Jojo Vissarionovich Djougachvili, l’idole du spectaculaire concentré. Aujourd’hui, ma demoiselle Eve, beauté avec les cheveux roux, qui tête du sourire, qui mérite le jardin de la maison d’été ensablée, qui a été assignée par le fruit, lui-même donné seulement par les choses, n’a pas changé. Elle renseigne le français, je veux dire la langue, auprès d’élèves étrangers qui posent des questions à l’avance sous forme de lignes rouges sur des écrans placides d’ordinateur. Les Anglais et les Priorilynies Trinitaires et d’autres spécialistes confrontent Alt Homson et font du français le plus ancien vocable à travers le document de 842 signé de la main de Nithard (ni jamais : des transactions, des serments, des vacances saintes, des comptes fraternels, comme quoi les cybernéticiens critiques ont raison et Nordine a tort). De ces hommes, très récemment, un, moi, a brillé : vers le haut, sur la construction des participes de forme, car une éducation impeccable encadre exceptionnellement le morceau. C’est la distance des avantages et des objectifs.

– Elle fait d’autres trucs , Eve ? Je veux dire : des passions ?

– Oui. La cuisine, qu’elle a étudiée dans une célèbre brasserie à la con du boulevard Germain (une lèvre doublée d’un pet), spécifiquement des amuse-goules qu’elle adore confectionner, et vachement bien, à l’occasion des apéros dînatoires organisés chez elle, le troisième samedi de chaque mois : crème roserougeorangeblanche à l’oseille des champs, sauce rouille, pizzaïoli, pâté d’oreille de cochon, houmous sur galette, petits fours, sablés délicats sous meringue de poireau, rouleaux de saison, microgalettes d’épices et pièces de chèvre tiède sur minitoast de pain total, ravioles au navet, canapés et smorrebrod, guacamole sur tuile, ballottines minuscules, bûches de rillettes, truffes en chausson, cigarettes de thon, rondelles d’œuf dur entrelacées de saumon fumé, et je n’oublie surtout pas cette spécialité religieuse : les coussinets de sole dorée de l’abbé Mohl, genre sushi à la vaticane ; elle prépare aussi des ventouses de pieuvre fraîche, œufs de lump à la louche et caviar bleu, osciètre et bélouga, samosas aux anchois, tapenade sur polentas, profiteroles de camembert, brioches de foie d’oie, fromages en crottes, pruneaux roulés dans confiote, cuisses de grenouille panées, chiffonnades de laitue aux graines de cannabis sativa et pistils de safran, olives noires et vertes enfilées comme des grosses salopes sur des tiges de ciboulette, bouchées de choses hachées, et le goût se forme tendrement sous les meringues polonaises et sur le minipain grillé qui est tiède. Poire eau (rôles de la saison), recueillant des morceaux, sofas maghrébins avec le sable verrouillé napolitain sur une crème normande, petits choux à la fourme, pâtes à l’ombellifère danois, des bricks comme en dent costauds très loin du monde du silence, petits glaçons itou pour les hydrophiles abrutis qui diluent le scotch, qui vous font des leçons sur les fromages internationaux et méritent des marrons. J’oubliais : soupe chinoise au jambon cru et trucs nippons ni mauvais. J’adore ses apéros ; il y vient un monde fou et elle ne demande rien en échange, qu’un peu de fleurs, elle vénère les fleurs, et pour son dernier anniversaire, 7 ventôse (doronic), lui a été offert un splendide ensemble floral constitué d’une euphorbe très velue, d’une edelweiss rare, d’une laîche mêlée d’immortelles, de trois narcisses cerclées d’épiaires, le tout en bouquet large, d’un poids d’environ six livres, soigneusement emballé dans du papier blanc couché brillant parfaitement calandré dont je ne peux estimer le grammage, mais c’était du lisse (encore !), le tout attaché à la base par un véritable faux bolduc de coton bleu sergé, réalisé visiblement avec des morceaux de pantalon cousus les uns aux autres au point de croix avec un fil de nylon titrant vingt mille centinewton par tex, lequel vrai faux bolduc était doublé de raphia jaune canari à pois rouges, noué en un nœud élégrand d’environ trois mètres d’envergure. A cause des saisons, certaines fleurs avaient été importées d’ailleurs, de l’hémisphère sud entre autres.

Mais c’est par cette ravissante fille, mesdames & messieurs, que m’est venu mon fol attrait pour ce gigantesque écrivain qui viola la langue dans toutes les positions, et si je bande encore, malgré ce monde pourri de guerres et de dominations, c’est parce que je sais que je peux toujours lire et relire en corps quelques pages où Anna Livia Plurabelle me susurre la Beauté.

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Ce texte a été publié initialement par Reflets du Temps, le 15 mars 2013.

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One Comment
  1. j’adore ce texte , avec ces mots bien particuliers, un peu moins la cuisine de cette dame……….

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