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Grave pollution à la Bastille

28 janvier 2014

« Les gens faibles sont les troupes légères de l’armée des méchants.
Ils font plus de mal que l’armée même : ils infestent et ils ravagent ».

Chamfort

 

« Grave pollution à la Bastille : la chaussée a été souillée par du fumier épandu sous la pluie, la police a comptabilisé 17000 étrons. »
C’est ainsi que je commentais hier, dimanche 26 janvier 2014, sur Twitter, la manifestation intitulée « Jour de colère » qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes, place de la Bastille, à Paris. Composée de multiples mouvements collectifs et d’individualités relativement variées, nous pouvions cependant y déceler un socle commun, assez répandu en France, mais qui était là porté à son paroxysme, sous des slogans et des bannières nauséabonds. Typiquement, nous avions sous les yeux une xénophobie, à prendre strictement sous son sens étymologique : la peur de l’autre, de ce qui est étranger, différent de soi. A cela s’ajoute une bonne couche maussade alimentée par une compulsion comparative. L’art du français moyen consiste à regarder comment ça se passe chez l’autre, chez son voisin, y déceler des avantages, des vertus ou des privilèges que lui n’a pas à sa disposition. Ça excite sa jalousie naturelle, puis ça l’exacerbe, il se plaint de ne pas bénéficier des mêmes faveurs. Il se plaint, toujours reluquant chez son prochain pour constater que ce dernier n’a pas nécessairement les mêmes difficultés, et pire, qu’il s’en sort beaucoup mieux… Par un étrange processus psychologique, il va alors considérer cette différence comme un défaut. Il va même en faire d’abord le défaut propre à son voisin (la paille dans l’œil du voisin, la poutre dans le sien…), alors qu’à l’origine c’était bien une qualité ou un avantage qu’il reluquait – pour le déplorer. Et ce défaut, qu’il va constater un peu partout, il va ensuite en faire un défaut général, étendu à la société entière.
Vous avez compris. Reste à trouver les responsables d’un tel état de faits intolérable, car cet abruti jaloux va prendre, au sein de la société mais également au sein du moindre groupe social auquel il appartient, toutes les différences pour des inégalités, obligatoirement produites par un groupe ou des intérêts spécifiques.
Les z’hommes politiques pour commencer, les différents pilotes de l’Etat, qui tirent à eux la couverture et laissent dans le dénuement le peuple (mais Qu’est-ce qu’un peuple ?). Et quand, avec un peu de réflexion – car l’abruti dont on parle ici peut avoir parfois des éclairs de raisonnement ou d’intuition -, il s’aperçoit que même les hommes et femmes de pouvoir sont aussi soumis à des influences, des injonctions, des contraintes, bref des forces qui dépassent leurs propres pouvoirs, il va considérer qu’une main obscure contrôle l’ensemble des conditions existantes de la vie sociale.
Bouc-émissaire.
Réduisant ainsi les rapports de production et de pouvoir à des manipulations obscures, on aboutit nécessairement au complotisme, posture « intellectuelle » confortable pour toute petite tête inculte et aliénée, posture qui devient rapidement celle du salaud. Le complotisme ainsi amené va faire remonter les grand mythes du sionisme international à la tête des banques, des appareils financiers et étatiques. Le Juif devient l’ennemi.
L’avantage pour le complotiste et le conspirationniste, c’est qu’au contraire du raciste simple, il a avec lui des « penseurs », des théoriciens, des spécialistes, et même des soi-disant humoristes. L’avantage rhétorique, également : votre critique à leur égard, vos réfutations vous feront passer, aux yeux du complotiste, au mieux pour un aveugle demeuré, au pire pour un agent du complot qu’il croit réel, d’où un débat proprement inutile, puisque il y aura toujours, en l’espèce, un renversement de la charge de la preuve. Ce qu’on nomme l’hypercritique fonctionne sur ce principe sophiste.
Toutes ces postures amènent évidemment à de vulgaires paradoxes, et sans aller dans les extrêmes ci-dessus évoqués. Chez les bonnets rouges, dès le début, nous avions repéré des contradictions, mais aussi quelques arguments crypto-fascistes. Les transporteurs refusant le principe pollueur=payeur (écotaxe), s’associaient volontiers avec d’autres mouvements qui protestaient contre le désengagement de l’Etat en matière d’industrie alimentaire. Sans taxe et sans impôt, l’engagement de l’Etat est compromis, voire impossible. Leur expliquer cela est voué à l’échec. Le poujadisme nouvelle sauce prend de l’audience, tire à boulets rouges, et surtout confusionne à tout-va.
Qu’avons-nous lu ou entendu hier ?

« On s’est battus contre les pédés, on se battra contre l’IVG »
« Europe Pédo Criminelle Sioniste Satanique »
« Tu me tiens par la Shoah, je te tiens par l’ananas »
« Etat nazi, journalistes collabos »
« CRS, police des Juifs »

Etant né en 1971, je pensais impossible d’entendre un jour : « Juif, la France n’est pas à toi » .
Je ne veux pas multiplier les exemples, ça me gonfle.
Certes les conditions présentes de la domination, les avancées considérables du capitalisme, le contrôle généralisé, la manipulation et la destruction du vivant, et j’en passe, façonnent des conjonctures désastreuses, tentent de généraliser la survie et plongent le monde dans un système très élaboré de représentations illusoires.
À ceux qui simplement ont peur, ou qui bavent d’envie devant leur voisin qui a une plus grosse bagnole, un plus gros revenu, ou semble juste plus heureux, à ceux-là je dis : sortez-vous les doigts du cul, raclez la merde qui borde vos yeux, cessez de vous plaindre de votre survie, et prenez votre vie en main, avec ou sans autrui, mais jamais contre lui.

 

Photo par Ben Heine

Photo par Ben Heine

 
 

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