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FREDAINES ÉPISTOLAIRES

14 septembre 2014

Lettre à un député.

Monsieur,

Il est une grande ville dans le monde pour ceux qui ont quelque chose en commun à déconstruire puis à fabriquer de leurs mains en colère, une si grande ville qui est, finalement, le monde entier, comme un ensemble de circuits sortis de la tête de cybernéticiens à vos ordres, le monde que vous avez abîmé avec la complicité de vos frères de la finance, le monde que vous ne comprenez plus du tout, tellement occupé que vous êtes à gérer vos sombres catastrophes, le monde total, donc, qui est à notre merci. A partir de Maintenant. Vous êtes suspendu au bord du précipice, votre avenir est une chute. Je ne vous serre pas la main. Adieu.

***

Lettre à l’inconnue (rêve).

Madame,

Si je suis hors de votre vue dès à présent, c’est que je suis fou. De vous. Il m’a semblé indispensable de disparaître afin que je devienne un souvenir à ranger dans votre si belle tête, un souvenir que vous pourrez consulter quand bon vous semblera, quand vous tomberez dans la peine de la solitude. Je ne puis plus vous approcher, vous voir, vous effleurer, car ma passion m’amènerait à vous prendre, sans hésitation aucune, tel l’animal de vos secrètes mises en scène, vous prendre jusqu’à l’épuisement total, jusqu’à l’extinction du monde. Une seule fois je vous ai rencontrée. Quand votre image a frappé ma rétine, un incendie s’est amorcé qui a embrasé tout mon corps ; vous étiez de dos, j’ai immédiatement acquis la certitude de votre cul. Et vous vous êtes retournée, lançant ce regard aussi noir que le ciel de ce soir, vos yeux ont vu les miens, vous avez soutenu votre découverte & pincé vos lèvres magiques comme si vous reteniez un accès de gourmandise. Aussitôt que votre sourire plein de sombre lumière m’a converti au désir, j’ai fait irréversiblement les dix pas qui me séparaient de vous. Par quelle force incontrôlable nous en sommes venus à mélanger nos langues sans discours d’introduction, je n’en sais rien. Toujours est-il que nous avons fini par nous détacher. J’ai reculé. Vos bras ont tenté de me rappeler. Puis j’ai couru jusqu’à un taxi. Tandis que ce dernier repartait, passant devant vous, je vous ai regardée une dernière fois ; vous avez pris la direction d’une berline dans laquelle, au volant, un barbon fatigué faisait la grimace. Vous êtes montée dans la voiture avec une élégance rare. J’ai tenté de garder aussi longtemps que possible le goût exotique de votre langue & la chaleur obscène de votre haleine. Je suis rentré chez moi & c’est en prenant mon paquet de cigares dans la poche de ma veste que j’ai découvert votre carte de visite. Vous en vouliez donc encore. Je me suis allongé sur mon lit, j’ai dormi comme un salaud. J’ai quitté le monde, je me suis noyé dans votre image comme on se noie dans la gnole, pendant quatorze mois. Je faisais venir les nécessités alimentaires & domestiques par un livreur. J’ai coupé le téléphone, j’ai débranché tous les récepteurs, & durant ces soixante semaines j’ai lu cent onze livres. Aujourd’hui je sors enfin de chez moi pour poster la lettre que vous avez sous les yeux. Je regrette de n’avoir même pas pu saisir le son de votre voix. Il est inutile de répondre à la présente ou de venir ici pour essuyer votre cyprine sur mon appendice : je quitte les lieux, je débarrasse le plancher, je déménage. Eventuellement, si vous savez pleurer, vous pourrez venir habiller mon silence de temps à autre, grâce aux indications que j’ai inscrites au dos de l’enveloppe. Ce sont mes coordonnées définitives. Celles de ma concession funéraire.

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Lettre à un ami sceptique & apeuré.

Camarade,

Bonne nouvelle : nous entendons par un nouveau récepteur idéal, c’est autre chose que les circuits habituels que notre cerveau emprunte. Je te propose de prendre un train pour venir nous voir, nous pourrons t’apporter aide & amitié, nécessaires à la protection de ta santé mentale. Je sais : voir autour de toi tant d’ignorants & d’égarés te propulse dans l’effroi le plus douloureux. Mais sache que tous ces frères humains perdus nous enseignent qu’apprendre à penser et à sentir est la faiblesse de notre temps. N’écoute plus les précepteurs qui se répandent médiatiquement, ceux qui veulent se battre avec de misérables mots contre l’autorité suprême des mouvements du cœur, la gloire du bonheur, le sable & les oiseaux. Il n’est pas surprenant que la prose organique ait déserté la bouche de beaucoup de nos contemporains, mais si tu résistes à ce mouvement général, il faut le dire, avec la langue véritablement articulée ! Sois patient, mon ami. Dans un avenir proche, quand la domination sera complètement occupée à la réparation de ses propres désastres, après distribution des actions placées en bourse pour la gestion de la poubelle mondiale, surviendra le renversement que nous avons prévu & préparé ; nous alimenterons joyeusement le mouvement & nous circulerons de nouveau sur l’herbe nouvelle qui repoussera sur les territoires dévastés & dans ton quartier. Préviens-nous de ton arrivée, nous irons te récupérer à la gare. Je t’embrasse.

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Lettre à un organisateur de festival.

Chère ordure,

J’ai bien reçu ta lettre par laquelle tu m’invites à participer, durant trois jours, à ta manifestation soi-disant littéraire destinée, dis-tu, à faire connaître au grand public les nouveaux talents d’aujourd’hui qui feront demain la renommée de la littérature francophone. Je dois dire que ta lettre, écrite sur mauvais papier bouffant, avec son pied de page tout coloré par les logos des partenaires officiels de ton long weekend, m’est tombée des mains & a glissé sur le sol. Depuis, cette lettre ressemble à une vague dentelle abandonnée, puisque mes chats, l’ayant prise pour l’abstraction d’un rat mort, ont joué avec, avant de la laisser dans un coin poussiéreux. Bien que sponsorisé, entre autres, par un grand fournisseur d’électricité, tu sembles mal éclairé : sur mon allergie aux festivités à la mode voulant transformer les artistes en faire-valoir de marques & autres produits de boustifaille, sur mon incompétence en matière d’animation de centre de loisirs, & enfin sur le fait que je suis bien trop cher pour toi. Par ailleurs, bon nombre des autres invités que tu as pris soin de convoquer à ta partie de campagne germanopratine, s’ils sont les nouveaux petits protégés des flics médiatiques, auraient pris le verre de whisky de Françoise Verny dans la gueule ou un coup de pied au cul par Théophile Gautier. Ils sont tellement cons que même en partouze il n’utiliseraient leur langue que pour bavarder. Très incordialement.

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Le texte « Lettre à l’inconnue (rêve ») a été publié ultérieurement par Reflets du Temps le 20 septembre 2014.

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