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Risques du soir, fin de l’hiver…

21 mars 2013

BLANC
D’abord du ciel le blanc est descendu sous forme de flocons soufflés du nord et portés par des rafales horizontales, entravant les communications et les transports, et dans le même temps visuel est parvenu un autre blanc comme une vignette en série marquant la fonte médiatique des congères ; dehors derrière nos fenêtres la neige, dans les fenêtres des écrans multiconnectés le nouveau Voyageur Représentant Placier de la Jesus Company. La religion, comme objet politique, c’est efficacement relayé : pour l’islam comme collision médiatique, pour l’église catholique comme collusion, c’est un bon rodage, fumeroles blanches en bout de fumisterie. Sur les routes du Cotentin et du Calvados des automobilistes étaient devenus des zonards dans un désert blanc, le bocage disparu sous la poudre. Tous les chemins menant à Rome, quelques scribes à Paris avaient hésité pour leur éditorial, inspirés par les plaques de verglas sur la chaussée à l’entrée de leur rédaction mais pressés par leur obligeance à l’égard de quelque comité qui rase plus près, à la vaticane. Quant à moi, athée à l’abri des intempéries, je ne pouvais qu’écouter du jazz sous la lune du jour ou lire les chroniques d’un ermite atypique retiré à la cave qui ne connaît plus de la rue que les ombres découpées par le soupirail, les bruits sourds sur les bordures. Il y écrit qu’on perçoit des sons inédits en sous-sol, et les décrit. Des voix sont transportées par le sol, la terre, des chemins de roches, des canaux et canalisations, des creux, à des distances importantes. Est perçue une présence humaine permanente faite de vibrations multiples, de toutes les fréquences, comme des échos de la vie, son rayonnement, jusque dans les profondeurs sombres du bas-ventre des maisons. A la cave, je cherche un outil, une archive. Il y règne l’odeur du calme et du silence mêlés, du temps essoufflé qui se repose. Quelques sons graves et descendants indiquent que la bâtisse est bien habitée. Par le soupirail, je devine la neige sur le trottoir. Des pas passent et tassent la neige. J’essaye d’écouter, pour entendre les voix qui viennent d’ailleurs, les ondes de la vie des autres. Rien. Je remonte et jette un oeil dans le jardin blanc, des empreintes de chat font des diagonales, les bruits sont sourds et rien ne bouge. Bientôt le soir reviendra et déjà une poussière crépusculaire s’est entassée dans les coins d’ombre. Le soleil a passé la ligne à l’ouest, le ciel prend du noir, un murmure s’approche, un train passant le viaduc, lentement, c’est l’arrivée en gare. De retour dans l’appartement, par la fenêtre je regarde le jardin et les premières fleurs qui l’occupent avec parcimonie, qui font des taches de couleur dans la neige. Vers l’est des points scintillent, des lueurs se mettent en mouvement et rebondissent par-delà les toits de la ville. Je vois loin au sud ; des flèches d’oiseaux remontent et filent au nord, alors que l’hiver s’attarde ici, soutenu par le vent. Je reprends les notes que j’avais laissées à l’air libre le temps de descendre à la cave pour en remonter la pince et le cahier. Rome encore, mais il y a longtemps, nous parle d’aujourd’hui. Fin des républiques en Europe, progression de l’Empire pensé par un groupuscule technocratique, démocratie en péril. L’historien David Engels (1) compare cette évolution actuelle à celle de la fin de la République Romaine : « L’union européenne est en bonne voie pour se transformer en une structure impériale en pleine expansion et aux frontières souples. Des cartels de nations réussissent par divers moyens à imposer leur vision à d’autres nations. Une nouvelle idéologie voit le jour, basée sur la supériorité d’une union qui garantit les valeurs universelles et sanctionne tout écart et qui possède les outils politiques et fiscaux nécessaires à la fois pour contrôler le territoire. » L’euro sera protégé des attaques extérieures, comme un trésor, avec des moyens violents à l’endroit des peuples européens eux-mêmes, pour satisfaire un idéal économique, mais ces moyens seront confrontés à une incalculable force politique, historique, qui circule déjà partout en Europe pour s’opposer radicalement à la désincarnation globale du projet collectif qu’avait été, fut un temps, un court temps, l’Europe.

METAMORPHOSES
Page suivante, et les notes qui vont avec. Des phrases en morceaux, hier soir, sur les effets de substances essayées pour tenter de provoquer une métamorphose : toujours en vue l’animal, la jusquiame mieux contrôlée avec des effets très précis. Compiler Circé en sa corolle tubulée avec du propolis. L’hiver, souvent, en fumigation avant d’aller s’allonger devant le feu de cheminée. Légère bradycardie les premières heures, une pulsion très tonique parcourant les muscles, puis les premiers phosphènes dans le crépuscule comme des bougies irréelles, suivis d’apparitions et enfin de métamorphoses. Sirène du lit dans les vagues de drap et son pourceau famélique s’humectant le groin en plein sa vulve offerte. Il y avait eu, subrepticement, cette apparition qui passa plusieurs fois dans la nuit pour estimer ma chair. En silence. J’osais quelques mots murmurés, soufflés : elle était toute crue et vulgaire dans ses réponses grognées ;  je ne lui avais pas encore demandé — si elle envisageait souvent le vice. Différence des accoutrements et attouchements à chaque passage, faite pour opposer en quelque sorte d’un coté un érotisme plus ou moins mou, rarement dur, et d’un autre côté une obscénité radicale, l’enfer de la chair. Mais qu’est-ce qui en général va provoquer le plus de désir, et de plaisir ? Dites-moi, j’ai comme un doute. Hmmhmm ? Et ce qu’il reste ? Ce qu’il reste une fois que l’on ne se met plus en scène. C’est la définition étymologique. L’anti-spectacle, le corps fait vecteur de l’action par une pensée de raison pure (dont le double animal est partie indissociable, paradoxalement), et qui par ailleurs échappe à toute critique de la critique, ce en quoi l’individu demeure comme ultime portion insécable de la conscience. Conscience de l’absence, du retrait en coulisses. Le désir qui vient, le plaisir, la jouissance. Hegel : « Le plaisir venu à la jouissance a bien la signification positive d’être devenu certitude de soi-même comme conscience de soi objective ; mais il a aussi bien une signification négative, celle de s’être supprimé soi-même. » (La Phénoménologie de l’Esprit)
Le giron. Le creux. Le vide. Refuge pour renouveler les intentions et les éprouver aussitôt, débordé par le double animal, oubliant les flux codés du monde et des zones de foule. Ventre de la femelle, citadelle parfaite pour les apeurés et damnés qui se perdent, toujours, dès lors qu’ils se transbahutent dans les rues alignées et les maisons numérotées, grimpent dans les buildings froids érigés pour satisfaire les obscurs rites de grands opérateurs.

La prochaine page sera le printemps.

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(1) « Le Déclin. La crise de l’Union Européenne et la chute de la République Romaine. Analogies historiques. » – Editions du Toucan – (retour au texte)

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