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Lettre ouverte à l’Association Parents Contre la Drogue

3 mars 2013
J’ai parcouru quelques pages de votre site.
Sur la page dédiée à l’alcool, nous pouvons lire :
L’alcool, consommé avec modération, est un lubrifiant social parfaitement utile. Mais comme chacun le sait, l’abus et (sic) dangereux pour l’individu et la société au sens large.
Cette assertion, exception faite de sa syntaxe approximative, est parfaitement vraie du point de vue sociologique et de la santé publique, et elle peut se reporter sur bien d’autres substances, ce que vous vous abstenez de faire.
Il est même assez remarquable, pour la page concernant le cannabis, de lire : Le cannabis est un stupéfiant, c’est-à-dire une substance euphorisante nocive pour la santé. Non seulement, vous prenez volontairement la définition étymologique et surannée du mot stupéfiant (qui place l’esprit dans une certaine torpeur, euphorie ou ivresse), mais cette définition première, qui est strictement pharmaceutique, n’induit pas le caractère nocif simple et ne correspond pas aux classifications actuelles (Convention unique sur les stupéfiants de 1961). Comme pour l’alcool, c’est l’usage répété ou massif qui entraîne une accoutumance et une dépendance, et une nocivité pour la santé.
Aussi, si l’on s’en tient à l’observation raisonnée des usages, et si l’on fait abstraction de la légalité ou pas de la substance, nous pouvons affirmer sans nous tromper que le cannabis est également un lubrifiant social mais que son abus est dangereux pour l’individu et la société au sens large. Vous savez, et vous l’écrivez par ailleurs, qu’il n’existe pas de drogue douce ou dure, mais des usages doux ou durs. J’imagine qu’il ne vous viendrait pas à l’esprit, en voyant un individu consommer une bière, de le suspecter immédiatement d’alcoolisme ou de toxicomanie. Votre manière de présenter les choses semble indiquer, par contre, qu’à la vue d’un autre individu fumant une cigarette de cannabis, vous détectez des risques sanitaires, médicaux, sociaux, relationnels systématiques et spécifiques. Fumer un joint ou boire un verre d’alcool ne sont pas les signes de toxicomanie, ce sont avant tout des pratiques sociales. Le cannabis ne présente pas plus de risques que l’alcool (aucune étude ne le prouve) au regard d’un éventuel ancrage dans des pratiques abusives ou dans des addictions polymorphes futures. L’usage du cannabis présente néanmoins un tout autre danger pour son consommateur : il est illégal. Les principaux problèmes sociaux (délinquance, criminalité, isolement, etc) et médicaux (dépendance, décompensations psychotiques, etc) qui cernent par exemple l’usage du cannabis sont liés directement ou indirectement à son illégalité, et amplifiés par elle, et sont aussi le fait de fractures culturelles (genèses de certaines psychoses).
Vos citations de Baudelaire sont le parfait exemple d’une telle fracture culturelle, dont vous êtes la malheureuse expression : vous oubliez soigneusement de préciser que l’auteur des Paradis Artificiels indique, en introduction de son ouvrage, les contradictions de son expérience, et nous pourrions vous citer autant d’autres phrases de Baudelaire qui montrent cette drogue sous un jour favorable… Votre manipulation est grossière.
En se connectant à votre site, toute personne concernée penserait y trouver peut-être une démarche constructive, en faveur d’une pédagogie des usages, avec une information claire, objective, rationnelle et correctement documentée qui soit en mesure de décrire aux parents, à leurs enfants, le fonctionnement et les effets des drogues, et leurs dangers, fort nombreux, variables et parfois gravissimes, mortels. Il n’en est rien, vos textes sont clairement colorés d’une idéologie d’arrière-garde. Concernant les différentes fiches sur les drogues, dans la partie consacrée aux effets, vous présentez un certain nombre de données et avancez des allégations dont les sources scientifiques ne sont nullement citées (et pour cause, certaines de ces allégations sont pures inventions). Votre rhétorique, elle, ne ment pas.
Vous écrivez : La prévention de la toxicomanie – pour être efficace – doit avoir pour objectif la non consommation de stupéfiants. La prévention primaire repose sur la proscription de la drogue. 
Cela n’est pas de la prévention, c’est de l’interdiction pure et simple qui n’a, vous le savez parfaitement, et toute l’Histoire le démontre, aucune efficacité pratique et provoque, là encore les démonstrations historiques ne manquent pas, des complications sociales, de la criminalité et des sociopathies au moins aussi sévères que les pathologies induites par la consommation abusive de drogues.
Votre mauvaise foi s’amplifie encore au paragraphe suivant :
La création de salles d’injection ou la distribution d’héroïne que certains revendiquent, sont le signe d’une résignation, d’une capitulation devant le problème de la toxicomanie. Ces mesures conduisent à maintenir les toxicomanes dans la dépendance.
Vous avez lu, je n’en doute pas, les études effectuées, avec les résultats commentés, sur les expériences déjà existantes en la matière dans huit pays : pourquoi donc les occulter et prétendre exactement l’inverse de la réalité observée dans ce domaine ? Ces actions ont pour but la réduction des risques (overdose, contaminations, etc) et n’ont pas pour perspective la lutte contre la toxicomanie (chimère) : vous les attaquez sur un terrain qui n’est pas le vôtre. Les toxicomanes ayant été pris en charge par ce type de protocole accèdent avec beaucoup plus de succès à la guérison que ceux qui n’en profitent pas, et ont une espérance de vie augmentée. Pour la France, ESPT et  l’INSERM, entre autres, ont toujours valorisé la création de salles de consommation. Et sous-entendre, comme vous le faites, que ce type d’expérience c’est maintenir les toxicomanes dans la dépendance, la maladie, l’invalidité, la détresse et la criminalité est la preuve formelle de vos intentions idéologiques. Non seulement les réussites sanitaires de ces salles de consommation sont qualifiées et quantifiées, mais elles sont associées à des résultats positifs constatés par les forces de l’ordre, la justice et les services sociaux (contrairement à ce que vous prétendez d’ailleurs).
Dire encore Les tentatives faites en vue d’une libéralisation ont miné le consensus contre la drogue qui existait dans la population est une parfaite négation supplémentaire de la réalité : il ne peut pas y avoir de consensus dès lors qu’il existe, au sein de la population, des millions de consommateurs de drogues, illicites ou non. C’est un argument complètement aberrant. Le consensus que vous évoquez est le produit d’un sondage d’opinion, ce qui demeure une base un peu faible.
Le premier point de votre charte (d’ailleurs, beaucoup de points sont… vides), Pour des raisons éthiques, sociales et médicales, toutes les mesures prises pour lutter contre la toxicomanie doivent viser l’abstinence et une société libérée de la drogue, est fort consistant.
Je n’ai trouvé nulle part dans votre site les éléments axiologiques utiles à la compréhension de ces raisons éthiques, qui en fait dissimulent plutôt des raisons morales, la confusion étant fréquente ; vous la connaissez, et vous l’exploitez pleinement. On ne peut donc pas les discuter. Les raisons sociales et médicales sont réelles mais vous n’en indiquez ni les sources, ni les éléments contradictoires, en particulier ceux de la communauté scientifique. Quant à l’idée d’une société libérée de la drogue, c’est justement une idée, mais ça n’existe pas et n’a jamais existé, ce serait même viser une société qui nierait les mouvements négatifs de l’homme qui sont proprement indestructibles (mais peut-être que la notion de dialectique vous est étrangère…). Vous pouvez viser aussi l’abolition totale des passions tristes ou des pratiques religieuses…
Le toxicomane en état de manque n’est jamais en danger : c’est vous qui êtes un véritable danger en écrivant une telle énormité, à croire que vous n’avez jamais vu les graves conséquences du delirium tremens ou des dépressions massives qui suivent l’arrêt de certaines substances (le suicide étant l’un des grands risques de la dépression). Je me demande même si votre terrible sentence ne tombe pas sous le coup de la Loi, puisqu’elle peut générer des comportements inappropriés mettant en péril la vie des usagers de drogues…
Je n’irai pas plus avant concernant mes commentaires, ce serait bien trop long et je n’ai pas de temps plus large à consacrer à vos inepties et autres manipulations de bas étage, manipulations qui ont encore fait bel éclat dans Valeurs Actuelles, le 28 février 2013, à propos du Sativex. Sur votre site internet, si l’on se réfère à la page On parle de nous, l’hebdomadaire d’opinion Valeurs Actuelles est de loin votre premier support de propagande ; ce choix démontre clairement votre positionnement politique et idéologique, positionnement qui n’est pas clairement affiché sur votre site et qui, pourtant, oriente votre pseudo analyse des phénomènes liés aux toxicomanies. A croire aussi que vous avez beaucoup de mal à trouver d’autres médias pour véhiculer les idées prohibitionnistes et réactionnaires de votre association.

From → ACTUALITE

2 commentaires
  1. Un courriel en beaucoup de points comparable a été envoyé en son temps au Comité National d’Information sur la Drogue (CNID) (http://www.cnid.org/ ). Le voici :

    Votre assertion dans la page concernant les idées fausses sur les drogues (on croit rêver) :
    « Le cannabis a des vertus médicales – Faux
    Le cannabis, comme tout psychotrope, peut soulager la souffrance des malades en phase terminale, au même titre que la morphine. Il ne guérit pas la maladie.
    La demande de légalisation de la Californie et de l’Arizona, ne visait qu’à soulager les grands malades « aux portes de la mort ».
    La campagne de presse de grande ampleur fait délibérément l’amalgame pour inviter à la légalisation de l’usage du cannabis. Cette campagne semble orchestrée et payée par le lobby de la drogue et de la dépénalisation. »

    Vous faites vous-mêmes l’amalgame entre ce que vous appelez « vertus médicales » et visée thérapeutique (action pour éradiquer une pathologie, en guérir). Le cannabis est utilisé depuis bien longtemps comme anti-douleur. Certes il ne permet pas de guérir. Mais une substance qui a la faculté de réduire la douleur, au même titre que d’autres substances (opiacés, paracétamol, ibuprofène, etc), a donc une vertu médicale. Pourquoi établissez-vous cette égalité artificielle entre « vertu médicale » et « guérison » (qui n’a aucun fondement, tant scientifique que rhétorique) si ce n’est pour des raisons de falsification ? Par ailleurs, dire qu’il ne concerne que les malades en phase terminale est une immense démonstration de mauvaise foi. Vous savez parfaitement que son usage médical concerne beaucoup d’autres malades et d’autres maladies, et que des études, qualifiées et quantifiées, disposant d’un appareil critique bien documenté, confirment l’intérêt du THC dans la prise en charge de la douleur. Raison pour laquelle il est de plus en plus intégré dans des protocoles thérapeutiques pour le confort qu’il peut apporter.
    Dire « Cette campagne semble orchestrée et payée par le lobby de la drogue et de la dépénalisation » est aussi absurde que si j’affirmais que votre campagne à vous est payée par les réseaux mafieux qui veulent garder l’exclusivité d’un marché fort juteux.
    Je passe sur les autres inepties colportées sur votre site (« La drogue n’est pas une composante inévitable de notre société » : voilà sûrement une assertion qui intéressera beaucoup les sociologues, anthropologues, historiens, car c’est un concept inédit et révolutionnaire, que la réalité dément depuis l’aube des temps humains…)
    Par ailleurs et pour en finir, il est assez remarquable que votre information présente de sévères lacunes sur les deux substances que sont l’alcool éthylique et la nicotine, qui sont les drogues provoquant le plus de morts. Cette carence d’information est-elle liée au caractère licite de ces deux substances ? Si oui, il est donc confirmé que votre propos est idéologique et politique, davantage qu’informatif et objectif, puisque la légalité encadrée du tabac et de l’alcool n’en fait pas moins des toxicomanies sévères qui méritent également une information précise sur leurs risques et dangers. La diabolisation des drogues en général et les discours moraux dissimulés derrière une pseudo éthique, l’alarmisme systématique et la culpabilisation des individus, sont plus toxiques encore que les drogues que vous prétendez combattre.

    JL

  2. Raph permalink

    Bravo Johann. Cette association puritaine et moraliste, sous prétexte de salubrité publique, traque d’autres vices que les siens : ceux que la loi a arbitrairement placés dans l’illégalité, que cette association confond avec la légitimité. Ce sont des croisés de la normalité, comme le révèle cette phrase de leur site :
    « Encore une fois, ce sont quelques activistes qui veulent imposer à toute la société et sur le dos de la société, un mode de vie anormal. »

    Tout est dit !

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