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OCTAVE

26 novembre 2013

Octave roulait à vive allure. Pourtant il avait déjà bien vécu.
Octave Mirbeau dont l’oeuvre constitue, et c’est bien pour nous comme pour lui, un objet littéraire mal identifié, qui vient de loin, naquit en Normandie, ce qui n’est pas rien. Octave roulait à vive allure parce qu’il avait probablement un temps fou à rattraper, un temps perdu dans une enfance triste qui avança jusqu’à une jeunesse morne, la guerre, et la poussière de l’étude notariale.

auton296Il avait fallu bien du temps, tout étiré sur la corde des ans comme un drap qui sèche doucement, même une fois installé à la Capitale pour y faire d’abord, longuement, la pige, le nègre, dans des postures parfois inconfortables qui forcément plus tard imposeront la nécessité d’une auto-critique. Mais déjà, par ces emplois certes ingrats, il avait pu s’exercer au tir à boulets rouges et peaufiner la force de frappe, même s’il ne signait pas encore (entendez : en son nom et avec son nom). Il sortit en 1884 de l’ombre de ses pseudonymes, il quitta les costumes de Gardéniac, Forsan et Bauquenne, fit retraite sur la fin de la terre pendant de longs mois pour mieux revenir et afficher publiquement une véritable cohérence, écrire pour soi, en soi : le désir de faire une oeuvre. Car c’est aussi en cela que Mirbeau vaut le détour, en son oeuvre, la contradiction y est parfaitement assumée, puisque nécessaire, elle surprend par sa construction, son montage, par l’exigence de ne jamais confondre réalité et vérité, par la mise en lumière d’une instable crédibilité du réel qui permet tous les renversements qui soient, même si ceux-ci engagent à des radicalités et à l’aventure. De retour donc il s’installe dans ses opinions et les ventile, continuant à utiliser la presse mais pour lui et par lui, il pousse dans le même temps, et c’est le signe majeur, un premier roman, puis plusieurs. Il s’engage. Toujours raillant les « joyeux escarpes », il signe et persiste, et son nom n’est plus la langue dans la poche que beaucoup de journalistes et critiques dépendants et salariés tiennent toujours cachée.

« Pourtant me permettez-vous de discuter un peu vos idées sur la Commune. Moi, j’ai un faible pour la Commune, non pour les chefs, qui étaient des bandits ou des farceurs – comme tous les hommes politiques – mais pour la masse, si mélancolique et si malheureuse, de tous ces êtres qui avaient cru en elle, et qui voyaient en elle un peu de bonheur, et un peu de justice ». (Lettre à Edmond de Goncourt, mars 1891).

Le sens profond de l’observation, dans l’écriture, de la précision, donne à Mirbeau l’occasion, au théâtre, de fournir de riches didascalies qui, en même temps qu’elles enchantent le lecteur, donnent au metteur en scène des détails pointus sur la vision de l’auteur et l’accompagnent dans son exercice de représentation et de direction des comédiens. Car la farce, les traits si grossis de la caricature, le ridicule de la suffisance, pour être efficaces doivent être le produit d’une fine observation, détaillée, de la langue telle qu’est est articulée dans la vie concrète, des gestes, des expressions faciales, des habitudes domestiques et publiques. En ce sens, Le Portefeuille est d’une sévérité délicieuse, cachée sous un grotesque devenu infâme…

From → LITTERATURE

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